Un silence fécond, une solitude pour ciel et verdict, une plume racée sont les attributs du poète Bruno Thomas. Chaque ligne est habitée par une densité claire, minimaliste, un verbe qui navigue d’un chuchotement à l’autre. Le temps devient un corps saturé d’adieux, une longue et profonde nuit où s’écrivent en contre-jour les formules de la lumière. Lente quête, aurore insondable toujours à traduire au lever des fronts d’hommes. Bruno Thomas trempe sa plume dans nos ombres illisibles, tente de dire nos points d’ancrage dans l’invisible, de pré-dire, de dessiner en creux ce qui nous absente et nous offre une douce errance. Ses livres sont des petits précis des incertitudes aux rayonnements stellaires.
Bruno Thomas nous saisit comme des cristaux, des cendres et nous fable le long des attentes. Une sève s’écoule, discrète et choisie, une brulure secrète nous tient en éveil et nous conte les matins qui nous assument. La mort veille comme une huile à minuit, si précieuse, si lente à achever nos finitudes. Dans la miséricorde de l’obscur, le poète cherche « à s’inventer où l’on pleure » comme il l’écrit lui-même. Combien d’heures closes à la porte de l’âme ? Tendre et cruelle réptation des inquiétudes, syllabe initiale au milieu du Mystère.
Bruno Thomas nous écrit dans les reliques de nous-mêmes, nos parts atrophiées où la mémoire nous éduque. Si fragiles échos de nos vies, intranquilles et tremblantes. A voix basse, il dompte je ne sais quelle séquelle, épreuve de l’œuvre lorsqu’elle nous baptise et nous rend à nous-mêmes. L’auteur épèle des tourments fondateurs, des séismes redoutables, « des lueurs en croix » comme il le dit lui-même. Contre son sang, battent des fragments de vie. Lente litanie des orages, des ferveurs échouées. Dans des réminiscences bien taillées, le poète nous guide à l’aune de ses empreintes.
La poésie de Bruno Thomas est une longue et vaste prière que l’on ouvre comme un livre de pierre. Il publie le Mystère au pied de la Parole et nous le livre telle une vague. Je le cite : « la sévérité de l’œuf penché sur son énigme. » Son écriture se double d’une clarté habile où voguent nos ultimes patiences, nos offrandes les plus chères, « nos ciels de silence ». Son style dépouillé laque des épures, nous apporte des aventures inouïes sous des lumières immobiles. Sourcier de nos profondeurs, l’auteur résume son chemin dans la trace qui le regarde.
Lecteur des reflets, Bruno Thomas écrit dans la douce respiration des mondes originels. Tout en lui chemine avec pudeur et élégante austérité. Grâce à lui, nous avons tant besoin d’un ciel qui nous pleure. Sa nuit nous console, tel le vide de Saint-Jean de la Croix. Avec lui, nous doutons de l’aurore, implorons son pardon pour tant de choses tues et non sues. Ses mots sonnent dans l’éclat et se mirent au prisme de nos larmes. A forces prodigieuses, nous luttons contre un jour ingénieux pour atteindre « ces éternités qui nous taisent » comme il l’écrit lui-même.
Chez ce poète, nous suivons l’existence selon ses pointillés, ses exclamations muettes, ses interrogations qui nous observent de loin tels de prestigieux hasards. L’homme est toujours orphelin d’une question qui l’abandonne comme une hypothèse et Bruno Thomas la traduit dans sa genèse. « A l’heure retenue de notre impudeur, je finirai par parler » nous dit-il comme une « vérité qui passe ».
Anne de COMMINES