Chez Yves Bergeret, la nature habitée par les hommes formule des signes. Cette matière vivante le traverse et le visite. Expressions de sensations, de sentiments, de palpitations, ses strates ou sa surface graphent son cœur, son corps et gravent une histoire animée.
Lorsqu’Yves Bergeret observe un espace, il lit donc ces marques et imaginaires possibles du lieu. Ensemble, ces éléments s’unissent pour engendrer une seule parole, la parole du lieu. Lorsque le poème la signifie, il devient « langue-espace ». Il module intelligiblement les rythmes naturels, les repères mobiles, les inconstances des hommes ou l’ondoiement des choses.
L’auteur évolue dans l’espace. Il écrit en marchant dans la montagne. Le poème émerge de cette ascension comme une valeur déchiffrable de l’espace. La roche est animée, la pierre parle et énonce sa présence. Géologie et mouvements écrivent leur liberté sous la plume de Yves Bergeret. Hommes et nature scandent et nourrissent des motifs en creux, des images éloquentes et des suggestions à faire éclore.
Le poète arpente les volcans, il aime travailler dans les « lieux de turbulence » comme il les nomme lui-même. Irruptions et flamboiements, détruisent et incendient tel un invincible souffle qui impose sa nature si puissamment vivante. Après supplice, végétations et villages se régénèrent, la terre à nouveau moule ses modèles et totems où l’homme s’abreuve comme dans une genèse. Yves Bergeret rend alors la parole aux lieux, ils retrouvent là leur vocation.
Le poète quête ce verbe originel, sacral qui vient se déposer dans la pérennité visible de l’écriture, comme il l’exprime lui-même. Le sujet rencontre sa matière meuble et la déploie la bouche pleine d’envols. Dans une parole performative, signifiante, Yves Bergeret commet un écho aimanté et un accomplissement palpable.
Je le cite : La parole poétique se manifeste par sa densité et sa propension à la litanie puis à la psalmodie et donc enfin au chant ou, au contraire, par son resserrement dans une formulation aphoristique saisissante. Cette parole poétique s’exerce partout et pas seulement dans l’acte d’écrire un livre ou de lire un livre. L’incantation inindividuée qu’est la poésie, de par sa densité et de par sa responsabilité éthique consciente prend souvent forme cérémonielle, et toujours forme théâtralisée.
De rêves en gravitations, le poète Yves Bergeret devient narrateur de la nature, trace avec elle le nom de ses dialogues, désigne ce qui la prononce et l’édifie. La terre, la roche, le volcan édifient leur symbole et « le baume énigmatique de leur ombre » comme il l’écrit lui-même.
Turbulences, spasmodies, sèves natives, présages, l’auteur nous guide dans l’archéologie du poème et dans les vastes labyrinthes des degrés humains. La puissance du dire, la plastique éloquente du trait nous tendent un visage, un cachet, un cryptogramme, une empreinte où l’histoire invite le mystère à se dérouler et à nous y conjuguer.
Grâce au travail de Yves Bergeret, nous devenons un point lucide dans un dialogue ajouré, nous ajoutons notre filigrane dans un monde aux surfaces sensibles. Je le cite : la beauté radicale de ces ascensions dans des formes géométriques glaciaires et rocheuses immenses m’attirait. Un accomplissement éthique de ce que mon corps pouvait réaliser en parcourant les sommets dans la dynamique de leur harmonie. Je lisais passionnément la poésie dans la montagne, cette école si vraie.
Anne de COMMINES